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pourquoi dieu a t il permis cela ??? « discours à la jeunesse » mesdames, messieurs, jeunes élèves, c’est une grande joie pour moi de me retrouver en ce lycée d’albi et d’y reprendre un instant la parole. grande joie nuancée d’un peu de mélancolie ; car lorsqu’on revient à de longs intervalles, on mesure soudain ce que l’insensible fuite des jours a ôté de nous pour le donner au passé. le temps nous avait dérobés à nous mêmes, parcelle à parcelle, et tout à coup c’est un gros bloc de notre vie que nous voyons loin de nous. la longue fourmilière des minutes emportant chacune un grain chemine silencieusement, et un beau soir le grenier est vide. mais qu’importe que le temps nous retire notre force peu à peu, s’il l’utilise obscurément pour des oeuvres vastes en qui survit quelque chose de nous ? il y a vingt deux ans, c’est moi qui prononçais ici le discours d’usage. je me souviens (et peut-être quelqu’un de mes collègues d’alors s’en souvient-il aussi) que j’avais choisi comme thème : les jugements humains. je demandais à ceux qui m’écoutaient de juger les hommes avec bienveillance, c’est-à-dire avec, équité, d’être attentifs dans les consciences les plus médiocres et les existences les plus dénuées, aux traits de lumière, aux fugitives étincelles de beauté morale par où se révèle la vocation de grandeur de la nature humaine. je les priais d’interpréter avec indulgence le tâtonnant effort de l’humanité incertaine. peut-être dans les années de lutte qui ont suivi, ai-je manqué plus d’une fois envers des adversaires à ces conseils de généreuse équité. ce qui me rassure un peu, c’est que j’imagine qu’on a dû y manquer aussi parfois à mon égard, et cela rétablit 1′équilibre. ce qui reste vrai, à travers toutes nos misères, à travers toutes les injustices commises ou subies, c’est qu’il faut faire un large crédit à la nature humaine ; c’est qu’on se condamne soi-même à ne pas comprendre l’humanité, si on n’a pas le sens de sa grandeur et le pressentiment de ses destinées incomparables. cette confiance n’est ni sotte, ni aveugle, ni frivole. elle n’ignore pas les vices, les crimes, les erreurs, les préjugés, les égoïsmes de tout ordre, égoïsme des individus, égoïsme des castes, égoïsme des partis, égoïsme des classes, qui appesantissent la marche de l’homme, et absorbent souvent le cours du fleuve en un tourbillon trouble et sanglant. elle sait que les forces bonnes, les forces de sagesse, de lumière, de justice, ne peuvent se passer du secours du temps, et que la nuit de la servitude et de l’ignorance n’est pas dissipée par une illumination soudaine et totale, mais atténuée seulement par une lente série d’aurores incertaines. oui, les hommes qui ont confiance en l’homme savent cela. ils sont résignés d’avance à ne voir qu’une réalisation incomplète de leur vaste idéal, qui lui-même sera dépassé ; ou plutôt ils se félicitent que toutes les possibilités humaines ne se manifestent point dans les limites étroites de leur vie. ils sont pleins d’une sympathie déférente, et douloureuse pour ceux qui ayant été brutalisés par l’expérience immédiate ont conçu de pensées amères, pour ceux dont la vie a coïncidé avec des époques de servitude, d’abaissement et de réaction, et qui, sous le noir nuage immobile, ont pu croire que le jour ne se lèverait plus ; mais eux-mêmes se gardent bien d’inscrire définitivement au passif de l’humanité qui dure les mécomptes des générations qui passent. et ils affirment avec une certitude qui ne fléchit pas, qu’il vaut la peine de penser et d’agir, que l’effort humain vers la clarté et le droit n’est jamais perdu. l’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. dans notre france moderne, qu’est-ce donc que la république ? c’est un grand acte de confiance. instituer la république, c’est proclamer que des millions d hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature passagère une trêve funeste et un lâche repos. instituer la république, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. et si cette république surgit dans un monde monarchique encore, c’est assurer qu’elle s’adaptera aux conditions compliquées de la vie internationale, sans entreprendre sur l’évolution plus lente des autres peuples, mais sans rien abandonner de sa fierté juste et, sans atténuer l’éclat de son principe. oui, la république est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. l’invention en était si audacieuse, si paradoxale, que même les hommes hardis qui, il y a cent dix ans, ont révolutionné le monde, en écartèrent d’abord l’idée. les constituants de 1789 et de 1791, même les législateurs de 1792 croyaient que la monarchie traditionnelle était l’enveloppe nécessaire de la société nouvelle. ils ne renoncèrent à cet abri que sous les coups répétés de la trahison royale. et quand enfin ils eurent déraciné la royauté, la république leur apparut moins comme un système prédestiné que comme le seul moyen de combler le vide laissé par la monarchie. bientôt cependant, et après quelques heures d’étonnement et presque d’inquiétude, ils l’adoptèrent de toute leur pensée et de tout leur coeur. ils résumèrent, ils confondirent en elle toute la révolution. et ils ne cherchèrent point à se donner le change. ils ne cherchèrent point à se rassurer par l’exemple des républiques antiques ou des républiques helvétiques et italiennes. ils virent bien qu’ils créaient une oeuvre, nouvelle, audacieuse et sans précédent. ce n’était point l’oligarchique liberté des républiques de la grèce, morcelées, minuscules et appuyées sur le travail servile. ce n’était point le privilège superbe de servir la république romaine, haute citadelle d’où une aristocratie conquérante dominait le monde, communiquant avec lui par une hiérarchie de droits incomplets et décroissants qui descendait jusqu’au néant du droit, par un escalier aux marches toujours plus dégradées et plus sombres, qui se perdait enfin dans l’abjection de l’esclavage, limite obscure de la vie touchant à la nuit souterraine. ce n’était pas le patriciat marchand de venise et de gênes. non c’était la république d’un grand peuple où il n’y avait que des citoyens et où tous les citoyens étaient égaux. c’était la république de la démocratie et du suffrage universel. c’était une nouveauté magnifique et émouvante. les hommes de la révolution en avaient conscience. et lorsque dans la fête du 10 août 1793, ils célébrèrent cette constitution, qui pour la première fois depuis l’origine de l’histoire organisait la souveraineté nationale et la souveraineté de tous, lorsque artisans et ouvriers, forgerons, menuisiers, travailleurs des champs défilèrent dans le cortège, mêlés aux magistrats du peuple et ayant pour enseignes leurs outils, le président de la convention put dire que c’était un jour qui ne ressemblait à aucun autre jour, le plus beau depuis que le soleil était suspendu dans l’immensité de l’espace toutes les volontés se haussaient pour être à la mesure de cette nouveauté héroïque. c’est pour elle que ces hommes combattirent et moururent. c’est en son nom qu’ils refoulèrent les rois de l’europe. c’est en son nom qu’ils se décimèrent. et ils concentrèrent en elle une vie si ardente et si terrible, ils produisirent par elle tant d’actes et tant de pensées, qu’on put croire que cette république toute neuve, sans modèle comme sans traditions, avait acquis en quelques années la force et la substance des siècles. et pourtant que de vicissitudes et d’épreuves avant que cette république que les h